Interview de Dara Huot, Directeur, Phare Performing Social Enterprise
Le CambodgeMag a interviewé Dara Huot, Directeur de Phare « Performing Social Enterprise », partenaire de la Fondation Grameen Crédit Agricole. Il fait part de ses inquiétudes et espoirs concernant l’entreprise sociale du cirque Phare.
Depuis le 17 mars, les représentations du cirque Phare, l’une des principales attractions de Siem Reap, mais aussi de Battambang, ont été suspendues…
Oui, il s’agissait pour nous d’appliquer une décision gouvernementale prise à l’encontre des salles de spectacles. Avant cela, nous avions mis en œuvre toutes les mesures nécessaires pour désinfecter les locaux entre chaque performance et respecter les distances entre les spectateurs. La température était contrôlée pour chaque personne entrant dans le chapiteau, et des distributeurs de solution hydroalcoolique étaient disposés un peu partout. Mais de toute façon, le nombre de spectateurs se réduisait peu à peu. Le décret gouvernemental n’a fait que précipiter une fermeture qui aurait été inéluctable.
Comment le personnel a-t-il réagi à cette fermeture ?
Phare est une très grosse entreprise sociale, divisée entre Siem Reap et Battambang. Ici, nous avons 40 artistes et 70 employés. L’école de Battambang, qui propose des formations au cirque, mais aussi à l’animation graphique, à la danse, la peinture ou encore au théâtre, compte 110 professeurs pour 1 200 élèves. Lorsque la fermeture a été décidée, nous en avons profité pour reprendre notre liste de « choses à faire », vous savez, tous ces petits trucs qui s’accumulent au fil du temps et que nous réservons généralement pour la saison creuse.
Nous avons tout nettoyé, refait les peintures, effectué tous les travaux de maintenance… Et puis, lorsque nous avons fini tout ça, chacun est rentré chez soi. La grande majorité du personnel vient de Battambang, beaucoup ont donc rejoint leur famille là-bas. Tous les artistes continuent à s’entraîner d’arrache-pied, pour la reprise des spectacles, mais aussi pour les prochaines tournées. Certaines ont été annulées, mais nous espérons pouvoir effectuer celle prévue en France pour cet hiver.
Les salaires continuent-ils d’être versés ?
L’intégralité des salaires a été versée durant tout le mois de mars. À partir d’avril, ces derniers ont diminués de 50 %, et il en sera ainsi pour les mois suivants. Il est impensable de laisser nos employés sans aucun revenu, et nous n’hésitons pas à puiser dans notre trésorerie pour cela. Mais combien de temps pourra-t-on encore continuer ainsi ? Au bout de 3 ou 4 mois, les caisses seront vides… D’autant plus qu’il nous faut continuer à payer tous nos loyers.
Vos employés bénéficient-ils d’un soutien de la part des institutions ?
Non, ce n’est pas comme en France, où des indemnités sont accordées aux personnes qui se retrouvent sans emploi. Rien n’est prévu pour eux ici, et la situation est d’autant plus dure que nombre d’employés ont contracté des dettes auprès des banques et des organismes de microfinance. Les intérêts qu’ils doivent rembourser chaque mois sont très élevés, et je ne vois pas comment ils vont pouvoir s’en sortir. Le seul espoir serait un assouplissement, de la part de ces organismes, des modalités de remboursement. En réduisant peut-être les taux d’intérêt, en espaçant les échéances ou, pourquoi pas, en les suspendant le temps que les choses reviennent à la normale. Un moratoire sur les loyers pourrait aussi permettre à de nombreux Cambodgiens de voir passer la crise. Dans l’état actuel des choses, rembourser un crédit, payer un loyer et subvenir aux besoins de sa famille lorsque l’on a un salaire réduit ou, pire, lorsque l’on se retrouve au chômage va poser de grands problèmes à toute une partie de la population.
En quoi cette crise va-t-elle changer Siem Reap ?
Depuis l’ouverture de la ville au tourisme de masse, c’est-à-dire une vingtaine d’années, le nombre de visiteurs n’a fait que croître de manière exponentielle. Les infrastructures, elles, n’ont pas forcément suivi. L’environnement a beaucoup souffert de la hausse de fréquentation, les déchets ne sont pas toujours bien gérés, l’accès à l’eau et sa qualité posent encore problème dans certains quartiers. Les besoins en électricité ont augmenté, mais les coupures restent nombreuses. Pourquoi ne pas profiter de cette « pause » involontaire pour se renouveler, se remettre en question et, ainsi, embellir la cité ? Il faut rester positif, essayer de voir ce que nous pourrons tirer de cette épreuve. La vie doit se poursuivre, il ne faut pas perdre espoir, et continuer à être positif malgré les circonstances. Nous devons plus que jamais prendre soin de nous et de nos proches, et rester forts. C’est important pour soi, mais aussi pour celles et ceux qui nous entourent. Tout le monde espère que cette pandémie durera le moins longtemps possible. 2019 aura été une année difficile, et 2020 sera encore bien pire. Mais nous nous en sortirons, et reviendrons, je le souhaite, endurcis par cette épreuve. Même s’il sera, bien entendu, très difficile de remonter la pente.