30 janvier 2019

     Par Hélène Sananikone, Fondation Grameen Crédit Agricole

© Philippe Lissac

« Social » et « business », deux termes qui ont longtemps été considérés antinomiques et qui continuent de l’être pour beaucoup. Pourtant, il existe des modèles économiques qui structurellement se fixent comme objectif de concilier sur un même plan impact social et développement économique. Au début des années 2000, le professeur Yunus a posé les fondements d’un modèle présentant ces caractéristiques : le « social business » que l’on peut traduire par le terme générique « entreprise sociale ». Comme toute entreprise classique, elle cherche à atteindre la profitabilité financière mais elle doit, dans le même temps, répondre à son objectif d’utilité sociale qui est intégrée au cœur de sa gouvernance et de son fonctionnement.

Afficher un profil de rentabilité lorsque l’on se préoccupe de l’impact social n’est pas une équation simple car cet objectif entraîne des coûts supplémentaires pour l’entreprise. Le point mort est nécessairement plus long à atteindre, mécaniquement, le besoin en fonds propres est souvent plus important mais l’équation est loin d’être impossible.

En effet, lorsque les dirigeants sont animés par la profonde détermination de créer des externalités positives au moyen de la création de valeur de leur entreprise, ils trouvent des moyens pour générer de l’impact social et pérenniser leur action. De plus en plus recherché, ce modèle alliant impact et profitabilité s’impose de plus en plus comme un modèle d’avenir. A la Fondation, nous voyons de plus en plus d’entreprises qui cherchent à servir des clients à faibles revenus (Base of Pyramid, BoP) en jouant sur l’effet volume mais aussi en mutualisant les couts sur une gamme étendue de produits. Dans ces cas, l’objectif social s’avère être un levier de création de richesses. Une success story qui illustre ce propos : la Laiterie du Berger, entreprise sociale sénégalaise dont la Fondation Grameen Crédit Agricole est actionnaire.

La Laiterie du Berger, une aventure entrepreneuriale

La Laiterie du Berger est une histoire de famille et d’amis sénégalais qui ont cru dans la possibilité de structurer une filière de production de lait au Sénégal. Le projet, à l’origine, fut donc celui de proposer un modèle économique aux éleveurs Peuls pour leur permettre d’augmenter leurs revenus et, donc, leur niveau de vie grâce à un modèle de production, de collecte et de valorisation du lait sénégalais.

Lorsque ce projet fut élaboré, beaucoup pensèrent qu’il était impossible : l’utilisation du lait frais sénégalais dans la fabrication des produits laitiers est un peu comme construire une oasis dans le désert : très cher et peu compétitif vis-à-vis des concurrents qui utilisent uniquement du lait en poudre importé directement de grandes nations productrices.

Face à ces difficultés, les porteurs du projet ont cherché à s’associer à des partenaires industriels et financiers à long terme puis à bâtir ensemble un modèle de chaine de valorisation du lait. La Laiterie du Berger a ainsi développé un modèle hybride en conjuguant mise en valeur du lait produit localement et utilisation du lait en poudre pour faire baisser le cout de production industrielle. L’entreprise a par ailleurs développé une marque ombrelle « Dolima » couvrant une gamme de produits laitiers à un prix abordable destinée à des populations aux revenus variés mais toutes soucieuses de consommer des produits laitiers. L’entreprise a récemment accompagné sa croissance autour du slogan « Bon pour moi, bon pour mon pays », ce qui a permis à la marque « Dolima » de devenir une référence nationale

Après 12 ans d’activité, la Laiterie du Berger propose une gamme élargie de produits laitiers bien segmentée et a désormais atteint le point d’équilibre économique. L’usine fonctionne à plein régime et de nouveaux investissements sont envisagés pour suivre la demande en produits Dolima.

Grâce à la ténacité de son fondateur et de ses co-actionnaires, l’entreprise a toujours été vigilante quant à sa mission sociale tout en faisant face à de longues années de mise en place de son propre modèle économique. C’est grâce à la maitrise de la chaine de valeur agricole, de « la fourche à la fourchette » ou « de l’éleveur au consommateur » que ce projet a pu non seulement voir le jour mais surtout atteindre son point d’équilibre. 10 ans ont été nécessaires pour cela.

Un avenir à partager entre la Franche-Comté et le Sénégal

Désormais un deuxième chapitre va s’ouvrir grâce à l’entrée d’un nouvel actionnaire : Crédit Agricole Franche Comté. Suite à une mission « Banquier solidaire » en juin 2018, la Caisse régionale a accepté de détacher un ingénieur agronome pendant deux ans pour rejoindre KOSAM 2, un projet dont l’ambition est de structurer une filière lait. Les problématiques territoriales du Nord du Sénégal sont en réalité proches de l’histoire vécue en Franche-Comté lors de la création de l’appellation d’Origine Contrôlée du Comté (AOC) et la valorisation de la production du lait d’élevage. L’objectif est de pérenniser le revenu des éleveurs en renforçant leur capacité de production et en assurant ainsi à la Laiterie du Berger l’approvisionnement nécessaire au développement de sa gamme spécifique.

L’histoire de la Laiterie du Berger nous montre que, bien que complexe, le mariage entre rentabilité et impact social est possible. A la Fondation Grameen Crédit Agricole, nous y sommes convaincus et continuerons, aux côtés de nos partenaires, à promouvoir cette vision d’avenir de l’entreprise et de la Finance durable.